Une cohérence soutenue pour améliorer les applications en information quantique

Comment éviter la décohérence dans les technologies de l’information quantique pour pouvoir ensuite créer des applications plus avancées? Cette question est au cœur du projet MQC, qui a étudié des moyens de maintenir la cohérence des systèmes quantiques.

Alors que la loi de Moore est sur le point de se retrouver dans une impasse, tous les regards sont braqués sur la technologie de l’information quantique. Nous n’en sommes pas loin: des architectures quantiques comme les ions piégés, les défauts de couleur dans les cristaux et les atomes de Rydberg sont déjà disponibles et peuvent être utilisées pour mettre en œuvre des applications en information quantique.

À partir de là, le principe est simple, du moins sur le papier: plus longtemps la cohérence quantique est maintenue, plus les applications quantiques sont riches et intéressantes. En d’autres termes, les physiciens quantiques ont besoin de nouvelles approches pour éviter la décohérence due au bruit, aux fuites et aux canaux de désintégration.

Itsik Cohen a étudié les moyens de maintenir cette cohérence et de créer une variété d’applications quantiques dans le cadre du projet MQC. Ce chercheur titulaire de la bourse Marie Skłodowska-Curie a accepté de nous parler de son approche et de ses conclusions.

Votre travail est centré sur la cohérence quantique. Pourquoi est-elle importante pour l’avenir de l’informatique quantique?

Itsik Cohen: En physique, la cohérence est maintenue aussi longtemps que les ondes conservent leur phase relative, ce qui rend possible le phénomène d’interférence. Il en va de même pour la cohérence quantique, qui est maintenue quand la stabilité de la superposition quantique (phase et amplitude) est assurée.

La cohérence quantique occupe une place centrale dans la technologie de l’information quantique. Cette technologie ne peut être mise en œuvre qu’à condition que la cohérence quantique soit préservée. En fait, comme les applications quantiques gagnent en complexité, le temps de cohérence doit être prolongé. De la même manière, des temps de cohérence plus longs se traduisent par des performances plus élevées et une meilleure fidélité des opérations quantiques, ce qui est d’une importance majeure, en particulier pour l’informatique quantique.

Comment obtenir une telle cohérence?

Pour maintenir la cohérence, il faut venir à bout du bruit, des fuites et des canaux de désintégration qui constituent les principales sources de décohérence. Des techniques de recentrage telles que le découplage dynamique et la correction des erreurs quantiques ont été développées spécifiquement dans ce but.

Le domaine du découplage dynamique est né avec l’idée de Hahn consistant à recentrer l’élargissement inhomogène en résonance magnétique nucléaire (RMN). Cet effet a été baptisé Spin Echo [écho de spin]. Il est actuellement utilisé dans de nombreux domaines de la physique, des systèmes atomiques à la matière condensée. Les percées dans ce domaine nous ont donné la capacité d’initialiser, de manipuler et de détecter l’état d’un qubit avec une précision extrêmement élevée. De façon encore plus impressionnante, cet effet a permis d’allonger le temps de cohérence des qubits de plusieurs ordres de grandeur. Une démarche complémentaire axée sur le découplage dynamique des impulsions est celle de l’approche dite continue: un champ d’entraînement résonnant continu ouvre une brèche d’énergie qui protège contre le spectre de puissance lent de la source de décohérence.

Le domaine de la correction d’erreur quantique, en revanche, est né avec l’algorithme de mesure et de rétroaction du syndrome de Peter Shor. Dans l’algorithme de Shor, un qubit computationnel unique est décrit par 9 qubits réels, et le bruit est détecté par des mesures qui peuvent garder intact le sous-espace du qubit. Il est alors possible d’appliquer des opérations de rétroaction et d’inverser le processus de bruit. Il convient de noter que, comme les protocoles QEC demandent davantage de ressources, il est préférable, sur le plan expérimental, d’utiliser des schémas DD lorsque c’est possible.

D’après vous, qu’est-ce qui rend l’approche du projet particulièrement innovante?

L’utilisation de schémas de recentrage pour maintenir la cohérence quantique dépend des sources de bruit qui varient entre chaque plateforme quantique et chaque dispositif expérimental. Une utilisation naïve de cette intervention protectrice pourrait également recentrer et détruire l’application quantique souhaitée.

Surmonter cet écueil rend mes projets particulièrement innovants, car il faut faire preuve de beaucoup de créativité pour parvenir à compenser le bruit tout en obtenant les applications souhaitées.

Comment avez-vous procédé pour résoudre les problèmes liés aux plateformes de communication quantique?

Dans un projet précédent, nous avons proposé, de manière théorique, un schéma de distribution des enchevêtrements dans les réseaux quantiques. En envoyant un seul photon entre les nœuds quantiques – chacun correspondant à un qubit atomique intégré dans une cavité – nous parvenons à générer une porte à phases multiples de contrôle entre les atomes. Il s’agit d’une porte universelle importante, dont nous avons besoin pour les protocoles de recherche quantique. L’un des obstacles expérimentaux est lié au maintien de la phase optique du photon, en raison des fluctuations de la longueur optique. Nous avons surmonté ce problème en envoyant de multiples photons au réseau quantique: nous avons utilisé une version pulsée du découplage dynamique pour recentrer la phase optique aléatoire.

Plus récemment, dans le cadre d’une collaboration théorico-expérimentale avec le groupe de l’Institut Weizmann dirigé par Ofer Firstenberg, nous avons démontré qu’il était possible d’appliquer un découplage dynamique continu pour protéger une excitation collective contre l’élargissement Doppler dans les atomes chauds. Lorsqu’un photon (ou une faible impulsion cohérente) est absorbé par la vapeur atomique, cette excitation atomique globale se comporte comme une onde de spin. Chaque atome possède une phase qui dépend de sa position et de l’impulsion du photon absorbé. En raison des vitesses atomiques aléatoires, l’excitation globale est soumise à une décohérence Doppler qui détruit la phase atomique souhaitée.

Pour y remédier, nous introduisons un état de capteur auxiliaire supplémentaire, avec une sensibilité opposée à ce même mécanisme Doppler. En pilotant intelligemment la transition entre l’état excité et l’état du capteur, nous les couplons et obtenons un état habillé protégé insensible au bruit Doppler. Le temps de cohérence s’en trouve ainsi prolongé.

Selon vous, quels sont les résultats les plus importants obtenus jusqu’à présent par ces deux projets? Et pourquoi?

Ces deux projets sont particulièrement importants pour le domaine des technologies de l’information quantique. Ils offrent tous deux de nombreuses applications supplémentaires et sont susceptibles de déboucher sur des recherches plus enrichissantes. Toutefois, en tant que théoricien, je crois que toute proposition théorique qui arrive à maturité pour être mise en œuvre expérimentalement s’avère finalement plus importante que celles qui n’arrivent pas à maturité. Je pense donc que la collaboration théorico-expérimentale du second projet est plus importante. C’est du moins le cas pour le moment, jusqu’à ce que le premier projet fasse l’objet d’une expérimentation.

À long terme, quel sera, selon vous, l’impact de vos recherches sur l’informatique quantique? Quelles applications envisagez-vous?

Les atomes de Rydberg sont récemment devenus des candidats intéressants en tant que plateforme de calcul quantique. Notre schéma peut être utilisé pour se protéger contre la décohérence Doppler, tout en renseignant efficacement les états de Rydberg nécessaires pour générer des interactions entre différents atomes. Par conséquent, je suis sûr que notre système sera utile pour les prochaines expériences d’informatique quantique avec les atomes de Rydberg.

Introduire un changement d’échelle en informatique quantique en passant à un grand nombre de qubits reste l’un des principaux défis du traitement de l’information quantique. L’utilisation de notre schéma pour la distribution des enchevêtrements dans les réseaux quantiques va de pair avec le concept d’ordinateur quantique hiérarchique, où chaque nœud quantique est un ordinateur quantique de quelques qubits. Je suis donc convaincu que, même si notre schéma n’a pas encore été vérifié expérimentalement, il finira par l’être.

Pouvez-vous nous en dire plus sur vos plans pour la suite, si tant est qu’ils soient déjà établis?

Il existe de nombreuses possibilités. L’une d’elles consiste à poursuivre les recherches universitaires dans le domaine des technologies quantiques. D’autre part, il existe de nombreuses entreprises ne faisant pas partie du milieu universitaire auxquelles je peux également apporter ma contribution. Je n’ai pas encore fait mon choix!


publié: 2020-06-02
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